Les Poèmes de WUKALI « Épitaphe », Georges Fourest

Georges Fourest (1867-1945) est né le 6 avril 1867 à Limoges. Il fut « un poète français à la verve parodique et irrévérencieuse, jouant avec truculence de mots rares ou cocasses, des dissonances de ton, de l’imprévu verbal et métrique, des effets burlesques », c’est ainsi que le décrit avec panache José Corti.
Il nous a paru intéressant de remettre en lumière ce poète aujourd’hui passé de mode et injustement oublié. Nous avons annexé un glossaire tant son texte est fertile en mots savants et références culturelles nombreuses. Prenez le temps de le découvrir, de le lire, de mâcher, de déguster, de goûter ses mots, de savourez sa langue parfois obscure mais si gouleyante et rare !
P-A L
Épître falote et testamentaire pour régler l’ordre et la marche de mes funérailles
Il ne me convient point, barons de Catalogne, [1]
lorsque je porterai mon âme à Lucifer, [2]
qu’on traite ma dépouille ainsi que la charogne [3]
d’un employé de banque ou de chemins de fer ;
que mon enterrement soit superbe et farouche,
que les bourgeois glaireux bâillent d’étonnement
et que Sadi Carnot, [4], ouvrant sa large bouche,
se dise : « Nom de Dieu ! Le bel enterrement ! »
Le linceul sera simple et cossu : dans la bile
d’un pédéraste [5] occis par Capeluche [6] vers
l’an treize cent soixante, un ouvrier habile
a tanné douze peaux de calprimulges [7] verts :
Pour ôter au cadavre un aspect trop morose
premier que me vêtir du suaire teignez,
mes sourcils en bleu ciel et mes cheveux en rose
de flamant et dorez mes ongles bien rognés.
Ce coffre d’orichalque [8] ocellé de sardoines [9]
et doublé de samit [10] qu’autrefois Gengis-Khan [11] offrit à mon aieul semble des plus idoines
à recevoir mon corps aimé de Dinican !
Etendez-moi rigide au fond de cette bière [12],
placez entre mes mains nos livres décadents :
Laforgue, Maldoror [13], Rimbaud, Tristan Corbière [14]
mais pas de René Ghil : ca me fout mal au dent
II
Pour corbillard, je veux un très doré carrosse
conduit par un berger Watteau [15] des plus coquets,
et que traînent au lieu d’une poussive rosse [16],
dix cochons peints en vert comme des perroquets ;
celle que j’aimai seul, ma négresse ingénue
qui mange des poulets et des lapins vivants,
derrière le cercueil, marchera toute nue
et ses cheveux huilés parfumeront les vents ;
les croques-morts seront vêtus de laticlaves [17]
jaune serin, coiffés d’un immense kolbach [18]
et trois milles zeibecks [19] pris entre mes esclaves
suivront le char jouant des polkas d’Offenbach ;
vous, sur des hircocerfs, [20] des zèbres, des girafes juchés et clamitant des vers facétieux,
vous cavalcaderez munis de deux carafes
d’onyx pour recueillir le pipi de vos yeux,
tandis que méprisant ta faune ô Lacépède, [21]drapé dans une peau de caméléopard [22]
mon vieux compaing Deibler, sur un vélocipède, [23]
braillera la Revue et le Chant du Départ ! [24]
III
Dans un temple phallique [25] atramente [26] de moire,
Monsieur Docre, chanoine et prêtre habituel
des Sabbats, voudra bien chanter la messe noire
évoquant Belphégor d’après son rituel
IV
Ce gâteau de Savoie ayant Hugo pour fève,
le Panthéon classique, est un morne tombeau ;
pour moi j’aimerais mieux (que le Diable m’enlève !)
le gésier d’un vautour ou celui d’un corbeau !
Puisque j’ai convomi [27] la société fausse
où les fiers et les forts ne sont que réprouvés,
monsieur le fossoyeur, vous creuserez ma fosse
parmi les assassins, dans le Champs-des-Navets !
Ni croix, ni monument : sous la Lune hagarde
je sortirai parfois, la nuit pareil aux loups-
garous et les bourgeois diront : « Que Dieu nous garde ! »
quand surgira mon spectre, à l’heure des filous !...
L’épitaphe ? Barons, laissez la rhétorique
funèbre aux bonnetiers ! Sur ma pierre, par la
barbe Mahom ! [28] gravez en lettre rouge brique
ces quatre alexandrins [29] où tout mon cœur parla :
- « Ci-gît Georges Fourest ; il portait la royale [30] »tel autrefois Armand Duplessis-Richelieu, [31] "sa moustache était fine et son âme loyale ! « Oncques [32] il ne craignit la vérole ni Dieu !..."
Et pour épastrouiller [33] la tourbe scélérate, [34]
s’il vous faut exalter en moi quelque vertu,
narrez que j’exécrai le pleutre démocrate
et que le bout de mes souliers était pointu !
Et tout sera parfait ! Et moi dans la géhenne, [35]
grinçant et debout sur les braises tisonnées,
je hurlerai tel cri de blasphème et de haine
que je terrifierai le Diable et ses damnés !!!
Or j’ai scellé ce pli des sept sceaux d’Aquitaine,
moi, neveu d’Astaroth, maudit par Jésus-Christ !
et pour être compris même de monsieur Taine, [36]
je m’exprime en vulgaire et non point en sanscrit !
Georges Fourest
Pour la bonne bouche et pour rester entre amis, voyez cette vidéo, un spectacle où le comédien Jean-Marc Boudet reprend largement le texte original avec quelques fines adaptations plus contemporaines...
Jen Marc Boudet et l’Orchestre National de Montpellier
WUKALI 10/06/2015
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